17. août 2022 de Dr. Christina Mpakali et Alexander Eppenberger
Série Blockchain : L’entrée de cette nouvelle technologie sur la place financière suisse (3e partie)
Les deux premières parties de cette série de blogs ont montré l'évolution des fintechs de la blockchain depuis la création du bitcoin. Nous avons vu à quel point ce secteur s'est déployé et établi. De plus, grâce aux jalons réglementaires posés très tôt par la FINMA, la Suisse a pu se positionner comme une nation leader en matière de cryptographie. Que font les banques suisses dans le domaine de la blockchain ? C'est la question que nous abordons dans cette dernière partie de la série de blogs.
Les banques permettent de plus en plus aux clients d'acquérir et de gérer des actifs numériques. Cela permet aux cryptomonnaies de se frayer un chemin vers l’accès au marché de masse : ce qui était considéré comme « Hype » est sur le point de devenir « Mainstream ». Examinons quelques exemples de cryptomonnaies issues des banques suisses au cours des trois dernières années :
UBS
La banque universelle UBS a fait une première tentative d’entrée sur la Blockchain en offrant à ses clients d’accéder à la plateforme We.trade. Cette dernière leur permet d’effectuer des transactions commerciales à l’internationale de manière efficace et sans paperasserie. Cette plate-forme a été cofinancée par IBM et une douzaine de banques européennes.
Par ailleurs, UBS a de plus mené à bien sa preuve de concept, ce qui a permis la distribution complète de fonds d'investissement sur la Blockchain. Pour ce faire, elle utilise la plateforme FundsDLT.
Credit Suisse
Le Credit Suisse prévoit également d’utiliser FundsDLT afin de permettre la distribution de fonds sur la Blockchain.
Dans le cadre d'une collaboration avec la startup Taurus aussi active dans le domaine, le Credit Suisse a tokenisé les parts d'actions d'une station alpine. La numérisation des actions a simplifié la gestion du capital en vue d'une transaction préalablement prévue (achat/vente de l'action).
Le Credit Suisse souhaite maintenant s'appuyer sur cette expérience pour élargir son offre de produits et de services en analysant le potentiel des actifs numériques dans tous les secteurs d'activité.
ZKB
La ZKB a également pu exercer avec succès la commercialisation de parts de fonds sur la Blockchain grâce à FundsDLT.
Raiffeisen
La banque Raiffeisen avait également lancé un projet de crypto-portefeuille afin de permettre à ses clients de disposer d'un compte épargne pour leurs cryptomonnaies. Malgré de prometteuses perspectives, la banque a mis fin à ce projet. Il existe toutefois une application qui permet d'envoyer ou de recevoir des cryptomonnaies, mais elle ne permet pas d'en acheter directement.
Banque hypothécaire de Lenzbourg (Hypi Lenzburg)
Grâce au lancement de la plateforme d'open banking Finstar, il est possible de tokeniser des actifs numériques et de les conserver en toute sécurité. La Banque hypothécaire de Lenzbourg a décidé d’élargir son offre pour de meilleures perspectives d’avenir.
Banque cantonale de Berne
La Banque cantonale bernoise BEKB vise une solution reproduisant l'ensemble des processus sur la Blockchain, de l'émission à la conservation des actifs sous forme de jetons en passant par l’échange. Pour y parvenir, elle travaille en partenariat avec Hypi Lenzburg, la plateforme d'open banking Finstar (conservation d'actifs numériques) et Daura (entreprise de legaltech - spécialisée en technologie juridique - pour la création d'un registre numérique des actions). Cette place de marché numérique a ensuite été effectivement introduite par la BEKB.
Julius Baer
La banque privée Julius Baer a conclu un partenariat avec la SEBA Bank pour utiliser sa plateforme. Julius Baer peut ainsi proposer à ses clients une large gamme de services pour la gestion des actifs numériques. La banque est consciente du potentiel qui se cache également dans le domaine du DeFi. Ce qui se reflète de manière très claire dans sa stratégie 2022-2025. Dans les années à venir, elle prévoit de développer les actifs numériques dans le contexte de la gestion de fortune.
Banque Vontobel
La banque Vontobel a lancé en 2019 le Digital Asset Vault - une solution de conservation des actifs numériques qui répond aux normes établies par les autorités de régulation. L'outil permet d'offrir plusieurs services cryptographiques, comme l'achat, le transfert et la conservation d'actifs numériques. La banque distribue cet outil à d'autres banques et gestionnaires de fortune. La même année, la banque a aussi lancé des produits structurés directement sur la Blockchain.
BKB/CLER
En 2021, il était prévu d'introduire un service de trading et de dépôt de crypto-monnaies pour les clients de la BKB/Cler. Cependant, le projet a été arrêté afin de se concentrer sur d'autres domaines stratégiques.
Swissquote
La banque en ligne Swissquote propose déjà le trading de crypto-monnaies et de produits structurés et continue d’élargir son offre. Désireux de se positionner de façon stratégique dans ce domaine, Swissquote prévoir d’ouvrir sa propre plateforme de cryptotrading avant la fin de l'année. Elle vise à proposer son infrastructure à d'autres banques qui souhaiteraient rejoindre ce domaine d'activité à l’avenir. Étant donnés les coûts occasionnés par la mise en place d’une telle infrastructure, ce modèle pourrait se révéler tout à fait rentable pour Swissquote.
PostFinance
En collaboration avec Swisquote, PostFinance a lancé une application - l'appli « Yuh » - qui permet à ses clients de faire du trading sur une sélection de cryptomonnaies. Comme si cela ne suffisait pas, PostFinance a créé sa propre cryptomonnaie, le Swissquoin (SWQ). La particularité de cette monnaie est qu'elle ne peut que prendre de la valeur. Cela est possible en réinvestissant chaque mois un certain montant par client Yuh dans SWQ. Ainsi, la valeur de la monnaie augmente grâce au nombre croissant d'utilisateurs de Yuh. PostFinance va certainement continuer à développer son offre dans le domaine des actifs numériques.
Sygnum
Sygnum a été l'une des premières banques d'actifs numériques au monde à obtenir la licence bancaire suisse. Cette dernière permet aux investisseurs institutionnels et privés d'investir sur le marché des actifs numériques.
Banque SEBA
La deuxième cryptobanque suisse, elle aussi titulaire d'une licence, fait le lien entre actifs numériques et actifs traditionnels. Les clients peuvent investir, conserver, trader et emprunter des actifs traditionnels et numériques en un seul endroit, et émettre des jetons.
SIX/SDX
Fin 2021, la bourse suisse SIX a lancé sa propre plateforme pour le négoce d'actifs tokenisés : SDX, SIX Digital Exchange.
Au milieu des années 1990, lorsque SIX a vu le jour, elle a permis l’échange de produits d'investissement par voie électronique. La compensation, le règlement et la conservation avaient lieu en dehors de SIX. La nouvelle plateforme SDX prend en charge l’ensemble de ces étapes en un seul endroit. La bourse suisse est la première au monde à avoir créé une plateforme globale pour les actifs sous forme de jetons, et qui plus est dans un environnement réglementé.
Ces exemples montrent que des banques de renom ont déjà effectué leurs premiers essais sur la technologie Blockchain et recherchent des cas d'application intéressants. Nombreuses sont les institutions ayant déjà reconnu le potentiel de cette technologie et proposé à leurs clients leurs premiers produits et services. D'autres, ont déjà solidement ancré leur évolution dans cette direction dans leur stratégie à court terme. Mais il y a aussi d’autres banques qui, pour l’instant, évitent encore à offrir des services basés sur cette technologie dans ce domaine. Ces dernières préfèrent suivre ce qui se passe sur le marché, pour s'y introduire un jour en tant que smart followers.
Comment les banques vont-elles évoluer dans le domaine de la blockchain dans les années à venir ?
Les tendances actuelles ont montré que les principales banques s'aventurent dans le domaine d'activité des actifs numériques. Que ce soit en proposant le trading de cryptomonnaies, la tokenisation d'actifs ou le trading et le dépôt d'actifs numériques. Pour y parvenir, la plupart des banques font appel à des fournisseurs tiers disposant de l'infrastructure nécessaire, comme l’ont démontré les exemples ci-dessus.
Dans un deuxième temps, certaines de ces banques prévoient la mise en place de leur propre plateforme technologique et développeront leur propre offre d'actifs numériques ou de services et produits crypto dérivés, le tout destiné à leur clientèle. Il est également possible de capitaliser leur propre plateforme, services ou produits. C’est ce que la banque Vontobel fait déjà avec sa plateforme Digital Asset Vault, tout comme le font par ailleurs les deux cryptobanques Sygnum et SEBA. Comme nous l’avons vu, Swissquote se dirige dans la même direction.
En fin de compte, les activités liées aux cryptomonnaies et à leurs produits dérivés, ainsi que le transfert des activités bancaires traditionnelles vers la technologie Blockchain sont en train de créer un écosystème très prospère à l’avantage des banques, des FinTech et des clients. Le DeFi ne sera plus considéré comme une simple vision théorique et idéaliste de la banque de demain, mais sera devenue une réalité. Une réalité qui offre rentabilité, sécurité et transparence, avantages découlant de la technologie Blockchain.
Une autre tendance qui se dessine déjà et qui se concrétisera dans les années à venir est l'émission de monnaie numérique de banque centrale. La carte ci-dessous montre l’évolution des banques centrales dans le monde, en indiquant à quelle phase de recherche et de développement elles se trouvent, en matière de création d’une monnaie numérique de banque centrale.
Statut des monnaies numériques de la banque centrale aujourd'hui (en août 2022)
Les monnaies numériques de banques centrales dans le monde
La première monnaie numérique de banque centrale a été lancée en Afrique dès novembre 2021 : le Nigeria avait interdit le commerce des cryptomonnaies en raison de leur popularité et de la dévaluation de la monnaie nationale, le naira. Pour ce faire, la banque centrale du Nigeria a introduit la monnaie numérique nationale « eNaira ». Cette monnaie numérique doit exister parallèlement au Naira avec pour objectif de simplifier les transactions financières et de les rendre plus transparentes pour toutes les couches de la société. Les Bahamas ont également introduit une monnaie numérique de banque centrale, le « Sand Dollar ».
La Banque nationale suisse mène des recherches sur le franc électronique depuis deux ans. En 2020, deux études de faisabilité concernant l'émission d'une monnaie numérique de banque centrale et le règlement d'actifs tokenisés avec cette monnaie numérique de banque centrale ont été menées à bien. Malgré cela, le « e-franc » ne sera pas encore introduit pour le consommateur. L’« e-franc » aurait principalement été utilisé pour les opérations de crédit entre banques commerciales en Suisse et à l'étranger (pour une plus grande efficacité). Jusqu'à présent, la Banque nationale suisse n'a pas encore prévu d'introduire concrètement le franc électronique.
La Banque centrale européenne avance d’un pas plus assuré : l'euro numérique doit être introduit d'ici à 2026. Le consommateur normal pourra ainsi effectuer des paiements ordinaires comme avec l'euro. On peut imaginer de déposer l'euro numérique sur portefeuille numérique et de débiter directement et en temps réel via l'application un paiement dans un magasin via l'euro numérique.
Mais pourquoi les banques centrales du monde entier cherchent-elles à créer une monnaie centrale numérique alors qu'il existe déjà un vaste choix de cryptomonnaies ? La raison est peut-être la suivante : il se pourrait que les banques centrales - tout comme les banques traditionnelles - se sentent menacées par ces nouveaux acteurs ultra-innovants que sont les cryptomonnaies et les stablecoins. Une monnaie numérique de banque centrale permet aux banques centrales de rester dans la course et de continuer à jouer un rôle décisif dans l'écosystème financier mondial.
C'est là que la Blockchain entre en jeu
Dans notre série d’articles consacrés au 15e anniversaire du Bitcoin et de la technologie Blockchain, nous avons montré que cette technologie va bien au-delà du système de paiement bitcoin et de l'échange de cryptomonnaies. Grâce à cette technologie, il est possible de reproduire l'ensemble des processus financiers de manière décentralisée et sur une plateforme tout-numérique. Puis, l'utilisation de smart contracts ou de NFT sur la Blockchain ouvre également de toutes nouvelles possibilités à d'autres secteurs d'activité. Cette nouvelle technologie est en train d’opérer des changements fondamentals. Dès que les premiers modèles commerciaux basés sur la Blockchain connaîtront le succès sur le marché de masse, des secteurs entiers suivront. Ce changement sera similaire à l’arrivée de l'e-commerce, il y a déjà 20 ans, qui a provoqué un changement radical dans le secteur des biens de consommation.
Plusieurs entreprises actives sur la Blockchain sont déjà prêtes à apporter leur contribution à ce changement en proposant leurs produits et services dans le monde entier. Dans le deuxième article de blog, nous avons vu que la Suisse, notamment grâce à la proactivité de ses régulateurs, se place dans le peloton de tête en matière de cryptomonnaies et produits dérivés. En matière de technologies émergentes, la mise en place d’un cadre juridique est important afin d'instaurer la confiance tant du côté client que du côté des entreprises. Cela a également l’avantage de favoriser l'acceptation de technologies innovantes.
Perspectives pour le monde de la finance
La technologie blockchain n'est pas encore tout à fait entrée dans le monde de la finance. Plus haut dans cet article, nous avons montré des exemples de diverses banques suisses qui, actuellement, expérimentent cette technologie. Elles cherchent à trouver des cas d’applications concrets afin d’assurer leur propre développement. Les banques centrales du monde entier se penchent par ailleurs sur l'idée de monnaie numérique de banque centrale. En Suisse, seul un nombre très restreint de banques proposent à leurs clients des produits ou services en lien avec des actifs numériques. Ce sont surtout des banques précurseurs qui ont d'ores et déjà reconnu le potentiel de la blockchain et qui veulent prendre un avantage précoce. Dans un avenir très proche, nous pourrons être les témoins du déploiement de l'offre financière sur la Blockchain et de son expansion sur la place financière suisse.
La technologie Blockchain n’est pas près de s’effondrer - c'est une certitude. Bien qu'il existe déjà des premiers cas d'application concrets et des domaines d'activité, la technologie continue d'évoluer fortement. Il y a encore des points faibles, comme la consommation d'énergie et l'applicabilité à grande échelle, qui doivent être surmontés avant que la blockchain s'établisse sur le marché de masse.